Scénario et dessin : Serge Annequin
Jules, étudiant en cinéma à Paris, se lance dans un projet de mémoire ambitieux : réaliser un documentaire explorant le lien entre deux "films maudits" que tout semble opposer. Le premier est "Coriolan", un film secret et invisible de Jean Cocteau tourné dans les années 1940, dont il n'existe qu'une seule copie sans négatif. Le second est une vidéo virale de surveillance montrant les derniers moments étranges d'Elisa Lam dans un ascenseur d'hôtel à Los Angeles en 2013, retrouvée morte noyée peu après. Obsédé par sa recherche de connexion, Jules s'isole progressivement, voyant son monde se désagréger et ses relations se détériorer.
Le point de départ de "Cela va de soi" est indéniablement original et stimulant. L'idée de confronter une œuvre cinématographique fantôme, auréolée de mystère et d'intention artistique, à un fragment brut et tragique de la réalité capturé par une caméra de surveillance est riche en potentiel thématique. Annequin explore avec intelligence la nature de l'image, sa réception, sa puissance et la frontière ténue entre l'art et le réel, le visible et l'invisible. Le récit se construit de manière non linéaire, mêlant les recherches de Jules, des flashbacks sur les contextes des deux "films", et des éléments de plus en plus oniriques voire fantastiques. Cette structure peut dérouter initialement, mais elle contribue grandement à l'atmosphère étrange et angoissante qui s'installe progressivement. Le lecteur est plongé dans la spirale obsessionnelle de Jules, partageant son trouble et son questionnement. Jules est un protagoniste crédible dans son ambition intellectuelle et sa descente progressive vers l'isolement et peut-être même la folie. Son obsession le consume, le coupant de ses proches et de la réalité. Annequin dépeint avec nuance sa fragilité et sa détermination, rendant son parcours à la fois fascinant et inquiétant. Le style graphique de Serge Annequin est reconnaissable et sert parfaitement l'atmosphère du récit. Son trait vif et parfois anguleux, ses personnages aux grands yeux expressifs, et sa palette de couleurs souvent pâles ou sombres contribuent à créer une ambiance à la fois réaliste et étrange. Les séquences oniriques et les représentations de l'angoisse de Jules sont particulièrement réussies visuellement. Au-delà de son intrigue captivante, "Cela va de soi" propose une réflexion sur la nature du cinéma, de la création artistique et de la manière dont nous interprétons les images. La confrontation entre l'intention artistique de Cocteau et la captation brute du réel dans la vidéo d'Elisa Lam soulève des questions pertinentes sur le rôle du spectateur, la notion d'œuvre et l'impact des images sur notre psyché.
VERDICT
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"Cela va de soi" ne se contente pas de raconter une histoire, mais propose une véritable expérience sensorielle et intellectuelle. En explorant les zones grises entre le réel et l'imaginaire, le visible et l'invisible, Annequin signe une œuvre singulière et fascinante qui interroge notre rapport aux images et à la nature de la vérité.